Variations sur l’image du chien dans l’Alexandra de Lycophron
ñ.397
Âàðèàöèè îáðàçà ñîáàêè â «Àëåêñàíäðå» Ëèêîôðîíà
Îäíîé èç îñîáåííîñòåé ïîýìû Ëèêîôðîíà «Àëåêñàíäðà» ÿâëÿåòñÿ íåîáû÷íîå îáðàùåíèå àâòîðà ñ èìåíàìè ñîáñòâåííûìè, êîòîðûå îí ëèáî ñîâñåì íå óïîòðåáëÿåò, ëèáî çàìåíÿåò ñëîæíûìè ìåòàôîðàìè, ñâÿçàííûìè êàê ïðàâèëî ñ êàêèì-òî ýïèçîäîì æèçíè ïåðñîíàæà. Äëÿ ðÿäîâîãî ÷èòàòåëÿ ïîäîáíîå «çëîóïîòðåáëåíèå» îêàçûâàåòñÿ çíà÷èòåëüíîé ïðåãðàäîé â ïîíèìàíèè òåêñòà. Ìåòàôîðà, ñâÿçàííàÿ ñ æèâîòíûì, ìîæåò íå èìåòü ïðî÷íîé ñâÿçè ñ îïèñûâàåìûì ïåðñîíàæåì. Ïîýòîìó îíà ìîæåò ïðèìåíÿòüñÿ êî ìíîãèì äåéñòâóþùèì ëèöàì. Èìåííî òàêîé ìåòàôîðîé ÿâëÿåòñÿ îáðàç ñîáàêè, êîòîðûé â ïîýìå óïîòðåáëÿåòñÿ ÷àùå âñåãî — 13 ðàç.  ñòàòüå ðàçáèðàþòñÿ âñå ñëó÷àè óïîìèíàíèÿ ñîáàêè (κύων, σκύλαξ). Àâòîð ïðèõîäèò ê âûâîäó, ÷òî äàííàÿ ìåòàôîðà áûëà ïîäõîäÿùåé, ÷òîáû ïîääåðæèâàòü äâóñìûñëåííîñòü ñàìîé ïîýìû.
ñ.389 L’une des caractéristiques principales du poème obscur de Lycophron, l’Alexandra, réside dans le traitement particulier des noms propres, qu’ils soient toponymes, théonymes ou anthroponymes: pour la majeure partie d’entre eux en effet, les noms propres sont évités par le poètes et remplacés par des descriptions définies plus ou moins alambiquées ou des métaphores liées souvent à un épisode plus ou moins connu tirés de la vie de ces personnages ou lié aux lieux de l’action1. Par voie de conséquence, l’absence fréquente de noms propres explicites dans le texte de Lycophron, en tant que mode de désignation détaché de tout contexte, rend la dénomination d’un personnage ou d’un lieu labile et instable: les noms propres se modifient pour un même référent en fonction du contexte même de leur utilisation. Ces détournements onomastiques sont bien sûr loin d’être sans intérêt pour le poète en ceci qu’ils participent à la fois de la construction discontinue du sens et de la plasticité du signifiant poétique. Mais, pour le «simple» lecteur, ces détournements onomastiques sont des obstacles à l’identification des personnages et des lieux, obstacles plus ou moins difficiles à franchir puisqu’ils relèvent de l’énigme et doivent a priori revêtir un aspect ludique.
Un principe corollaire à cette instabilité de la dénomination est la polysémie introduite par la métaphore (surtout animale) qui est dans l’oeuvre de Lycophron l’un des moyens les plus employés pour remplacer le nom propre. Dans la mesure où en effet une métaphore animale n’est pas attachée à un référent individuel unique, il devient possible pour un signifiant métaphorique de renvoyer à plusieurs personnages qui peuvent partager des qualités identiques leur valant cette même désignation métaphorique. On peut pour mesurer les effets de cette pratique poétique prendre l’exemple du chien qui est l’un des animaux les plus cités du poème avec treize occurrences.
Pour commencer, on peut passer assez vite sur deux occurrences du terme κύων qui semblent ne pas être véritablement métaphoriques et qui ne semblent pas renvoyer à un nom propre (à moins que notre lecture du texte énigmatique ne soit ici défaillante); ce sont les deux occurences qui désignent le monstre marin envoyé par Poséidon pour châtier Laomédon et dévorer la jeune Hésionè. La première occurrence est cependant assez remarquable, car elle apparaît au tout début de la prophétie de Cassandre, dès la première phrase, dans une association avec un lion, lui métaphorique, qui représente Héraclès; cette association installe un certain trouble initial puisque les noms relevant du même registre animal ne sont pas tous à ñ.390 comprendre de la même manière; le chien vient donc perturber la lecture que l’on peut faire du lion (vers 32—
καὶ πρόσθε μὲν πεύκῃσιν οὐλαμηφόροις τριεσπέρου λέοντος, ὅν ποτε γνάθοις Τρίτωνος ἠμάλαψε κάρχαρος κύων. «…Autrefois aussi par les pins porte-troupes |
D’un trimètre à l’autre, le zoonyme métaphorique accompagné d’une épithète obscure s’oppose au zoonyme propre qualifié par une épithète concrète; l’emploi propre semble venir se substituer à l’emploi métaphorique, à l’image de l’élimination évoquée par le texte poétique. Mais la mise en relation du propre et du métaphorique dans l’action même accomplie par le chien de Triton instaure un trouble dans la lecture pour la délimitation précise des sphères de l’humain, de l’animal et du monstrueux: cela remet en question la mention finale de ce chien, qui pourrait bien être plus métaphorique qu’il n’en a l’air.
Si l’on considère toutefois qu’il n’y a pas de métaphore pseudonyme ici, on est un peu plus gêné, lorsque l’on passe au registre intermédiaire (entre le monstre et l’humain) de la femme — registre intermédiaire justement parce que son premier spécimen participe lui-même à la fois de l’humain et du monstrueux. Il s’agit deux autres occurrences qui servent à désigner Scylla, la fille de Phorcys, autre monstre marin, mi-animal mi-femme. La première occurrence est située aux vers 44—
ὁ τὴν θαλάσσης Αὐσονίτιδος μυχοὺς στενοὺς ὀπιπεύουσαν ἀγριαν κύνα κτανὼν ὑπὲρ σπήλυγγος ἰχθυωμένην, ταυροσφάγον λέαιναν. «— Lui, celle qui de la mer ausonienne scrutait |
La différence entre cet exemple et le précédent est que le monstre en question a cette fois un nom bien connu qui est délibérément laissé de côté. Toutefois, il est possible que ce nom propre absent soit présent «sous les mots» selon une pratique anagrammatique assez commune dans le texte de Lycophron4. En effet la structure syntaxique emboîtante du passage laisse à penser qu’il y a une construction particulière de la matière poétique; il se ñ.391 pourrait bien en effet que le nom de Scylla (ΣΚΥΛΛΑ), tout en étant absent, serve de «mannequin» à ce qui pourrait être un cryptogramme théronymique:
ὁ τὴν θαλάσσης Αὐσονίτιδος μυχοὺς Στενοὺς ὀπιπεύουσαν ἀγρίαν ΚΎνα Κτανὼν Ὑπὲρ σπήΛυγγος ἰχθυωμένην, ταυροσφάγον ΛέαινΑν. |
C’est bien là en effet un mannequin parfait du cryptogramme et une résolution ordonnée de l’anagrammatisation, même si elle a lieu en deux temps avec la répétition initiale
Un second élément me semble devoir être ici retenu: c’est l’association de deux animaux pour parvenir à nommer et / ou décrire le personnage de Scylla, comme si le premier était insuffisant. De fait, du point de vue de l’anagramme, le seul terme κύων est insuffisant (d’où l’effet de répétition). L’insuffisance tient aussi à la nature même du référent: il s’agit d’un personnage monstrueux, hybride8 qui ne peut donc se laisser, même métaphoriquement, enfermer dans un seul animal; il y a donc, par le biais de l’apposition, une hybridation qui s’opère entre la chienne et la lionne pour dire plus justement le personnage sans le nommer. Ce faisant, nous retombons de la métaphore pseudonyme dans la description définie, puisque la métaphore, normalement globalisante même si elle est insuffisante, ne suffit pas ici à dire «Scylla»; il y a une sorte d’interaction neutralisante entre l’anagrammatisation et la métaphore pseudonyme. D’ailleurs, on remarque que l’on pourrait supprimer le terme κύνα du schéma anagrammatique et que le cryptogramme pourrait néanmoins être restitué.
La situation est un peu différente avec la seconde occurrence (vers 668—
ποία Χάρυβδις οὐχὶ δαίσεται νεκρῶν; ποία δ᾿ Ἐρινύς, μιξοπάρθενος κύων. «Quelle Charybde ne festoyera pas sur leurs cadavres? |
ñ.392 Dans ce passage, une opposition se met d’emblée en place: onymat / pseudonymat. En effet Charybde est nommée par son nom propre, comme elle le sera à nouveau au vers 743. Scylla, qui lui est toujours associée, ne subit pas le même sort: au contraire, deux équivalences successives sont ici proposées; la première est un pseudonyme théonymique, Ἐρινύς, servant souvent à désigner toute sorte de divinité infernale autre que l’Erinye elle-même9. Mais ce premier substitut est imparfait: car il est paradoxalement imprécis et source de confusion trop grande dans son association même à «Charybde». Il ne s’agit pas en effet de former un nouveau couple (au risque de «tomber de Charybde en Erinye»), mais bien de renvoyer à Scylla; la solution proposée par Lycophron est ici l’apposition d’un second pseudonyme, métaphorique et relevant du monde animal, qui renvoie à la première mention de Scylla dans le texte (cf. supra) et donne véritablement la clé du premier pseudonyme; l’adjectif μιξοπάρθενος qui accompagne ici le terme κύων est bien venu pour désigner le caractère hybride du personnage (ainsi que celui de sa désignation); ce terme redouble, et complète de manière opposée, une précédente qualification donnée au vers 650 de la même Scylla: μιξόθηρ. Il faut vraiment aller chercher aux quatre coins du texte les éléments qui permettent de reconstituer le personnage référent ainsi que son nom.
Cet exemple est donc tout à fait révélateur du fonctionnement de la métaphore pseudonymique dans le texte de Lycophron: ce phénomène de substitution des noms propres oblige le lecteur à une lecture active et manipulatrice du texte; le texte éclaire le texte et il faut une circulation constante pour rétablir les noms sous les mots.
Deux autres personnages (vraiment) féminins sont nommés par la métaphore du κύων. Le premier est, bien sûr, Hélène (vers 86—
Λεύσσω θέοντα γρυνὸν ἐπτερωμένον τρήρωνος εἰς ἅρπαγμα, Πεφναίας κυνός. «Je vois courir un brandon ailé |
La même désignation est reprise aux vers 850—
Καὶ πάντα τλήσεθ᾿ εἵνεκ᾿ Αἰγύας κυνὸς τῆς θηλύπαιδος καὶ τριάνορος κόρης. «Et tout cela, il le supportera pour la chienne aïgyenne |
Deux remarques doivent être faites à propos de la première occurrence: tout d’abord, comme dans le cas de Scylla, une double métaphore, mettant en œuvre une hybridation métaphorique, essaie de dire quelque chose d’indicible du personnage référent dont le nom reste caché; ces redoublements métaphoriques peuvent laisser entendre que, malgré tout, le nom propre a peut-être du bon dans l’économie de la langue. Mais ñ.393 c’est aussi indiquer que le personnage ne peut se réduire justement à un simple nom; la métaphore, dans son approximation poétique, pourrait suffire pour nommer, même de manière globalisante et imparfaite, le personnage; mais ce personnage est présenté dans un contexte; il n’est pas qu’un nom que l’on peut introduire en toute facilité dans un récit; il a une épaisseur que la métaphore redoublée tente, peut-être imparfaitement, de rendre, là où le nom propre resterait purement conventionnel.
Hélène est donc ici à la fois colombe et chienne: les deux noms se font échos aux deux extrémités du vers. L’association des deux animaux appelle une seconde remarque: si la colombe connote aisément la féminité dans ce qu’elle a de fragile et de vulnérable (notamment lorsqu’elle est présentée comme une proie), ainsi que la pureté de la blancheur, il semble a priori que la chienne invite à de tout autres conclusions; on sait en effet quel usage péjoratif est fait de l’animal depuis Homère11; toutefois, il faut garder ici une certaine prudence, car cette chienne est qualifiée de Péphnaïenne, c’est-à-dire originaire d’une localité de Laconie, Péphnos. Or les chiennes de Laconie avaient une excellente réputation, comme le rappellent divers auteurs12. Mais il faut peut-être aussi revoir en sens inverse les connotations attachées à la colombe qui semble bien aussi pouvoir évoquer une prostituée et donc être autant péjorative que la chienne13.
Mais l’ambiguïté est levée par la seconde occurrence: certes Hélène y est qualifiée de «chienne d’Aigys» du nom d’une autre cité de Laconie, mais l’apposition du vers suivant ote tout doute quant à la valeur péjorative de la métaphore animale: celle qui multiplie les époux ne peut pas être autre chose qu’une fille de mauvaise vie14!
Il n’y a pas cependant que les femmes qui soient désignées par le terme κύων dans le poème de Lycophron. Les hommes peuvent l’être également, mais, curieusement, c’est toujours ici au pluriel. Dans un premier cas, ce pluriel ne représente que deux personnes (vers 439—
ñ.394 |
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«Deux chiens de Déraïnos, vers l’embouchure Des courants du Pyrame, domptés En égorgements réciproques, darderont leur ultime cri…». |
Il s’agit ici de deux prophètes ou devins appelés «chiens de Dèraïnos», c’est-à-dire d’Apollon, nommé d’après un lieu de culte situé près d’Abdère en Thrace, soit parce qu’ils étaient les interprètes fidèles du dieu, comme un bon chien qui suit son maître, soit à cause de leur querelle fratricide, qui n’est pas sans rappeler celle d’Etéocle et Polynice. Il s’agit des deux fils de Mantô15, Mopsos et Amphilochos: en principe, seul le premier est fils d’Apollon; le second est fils d’Alcméon. L’association de deux noms propres dans un pluriel collectif est fatale au nom propre ainsi qu’à l’identité, à la vie propre des personnages.
Les autres exemples où des hommes sont impliqués et désignés métaphoriquement comme κύνες, sont collectifs. Il s’agit soit des Achéens (vers 581 et 1266), soit des Phéniciens (vers 1291). Ces occurrences nous entraîneraient trop loin pour notre propos. Mais il reste encore deux cas assez surprenants, où la métaphore animale pseudonyme sert non plus de substitut anthroponymique, mais météorologique et toponymique. Il s’agit tout d’abord d’un vent de Thrace (vers 924—
οὓς τῆλε Θερμύδρου τε Καρπάθου τ᾿ ὀρῶν πλάνητας αἴθων θρασκίας πέμψει κύων, ξένην ἐποικήσοντας ὀθνείαν χθόνα. «(les chefs rhodiens) |
On voit aussitôt la différence de traitement entre les personnages précédents et le présent phénomène météorologique: dans ce dernier cas, l’image animale ne vient pas se substituer au nom propre qui est donné et indique en même temps une origine géographique16. Il me semble que la raison de cette différence est le recours à un phénomène de personnification du vent, décrit comme un guerrier17 à la description duquel est empruntée la désignation αἴθων κύων qui neutralise finalement la substitution pseudonymique.
Le second exemple concerne un fleuve pour lequel il n’y a plus de métaphore, mais une métamorphose en chien (vers 961—
῟Ων δὴ μίαν Κριμισός, ἰνδαλθεὶς κυνί, ἔζευξε λέκτροις ποταμός. «Oui, elles dont sous la ressemblance d’un chien, Krimissos, |
ñ.395 Dans cet exemple, on constate que Lycophron refuse explicitement de recourir à la métaphore qui était pourtant possible. Le participe ἰνδαλθεὶς renvoie l’image du chien à elle-même, et l’analogie animale n’a plus qu’une valeur de transformation d’apparence, sans engager aucunement une dénomination.
Ces deux derniers exemples où le pseudonyme métaphorique est laissé délibérément de côté mettent en question le statut du nom propre: un toponyme a-t-il vraiment le même statut qu’un anthroponyme? Car, pourquoi le jeu pseudonymique n’est-il possible qu’avec les noms de personne? Est-ce lié au fait que seules les personnes sont susceptibles de se modifier et de n’être plus adéquates au nom qu’elles portent, par opposition à une (plus grande) permanence des lieux?
Pour en finir avec le chien, il faut prendre en compte le terme σκύλαξ18 qui concurrence κύων notamment pour les désignations métaphoriques de personnages masculins. La première occurrence concerne néanmoins encore une femme (vers 314—
Οἴμοι δυσαίων, καὶ διπλᾶς ἀηδόνας καὶ σὸν, τάλαινα, πότμον αἰάζω, σκύλαξ. «Oh, malheur de ma vie! sur deux rossignols |
On retrouve dans cet exemple un phénomène de métamorphose qui débouche, contrairement à l’exemple du fleuve précédent, sur une métaphore pseudonyme. Il s’agit en effet d’Hécube qui fut lapidée pour avoir aveuglé le roi thrace Polymnestor, puis fut métamorphosée en chienne; cet épisode de métamorphose n’est pas absent du texte de Lycophron, mais il est rapporté plus loin (vers 334: Μαίρας ὅταν φαιουρὸν αλλάξῃς δομήν) moyennant le nom propre de la chienne d’Erigoné, Maira. Ici, par anticipation, c’est bien la métaphore pseudonyme qui est employée et qui ne sera justifiée donc que par la suite du texte. La triple apostrophe a ici une valeur programmative et proleptique: Cassandre commence par lancer une lamentation sur ses deux soeurs, Laodicè et Polyxène, ainsi que sur sa mère, avant d’évoquer le sort qui leur sera réservé. Ce rapport entre pseudonyme métaphorique et histoire personnelle laisse entendre que tout nom a la valeur d’un récit, d’un micro-récit selon le terme de C. Calame19: ici ce n’est pas la métamorphose en chienne qui est un malheureux destin, mais ce qui précède et que désigne sans entrer dans les détails le simple terme πότμον. On remarque que les deux désignations métaphoriques (le rossignol et la chienne) se font écho à la clausule du vers de ce distique: curieuse famille que celle où une chienne donne naissance à des rossignols, tandis que Cassandre se présentera pour finir comme une hirondelle (vers 1460)20.
Le terme σκύλαξ est d’ailleurs employé dans un vers qui a une forte puissance musicale et la multiplication des diphtongues produit une plainte ñ.396 tout au long du trimètre, plainte qui trouve sa conclusion dans l’apostrophe finale.
Le dernier exemple concerne un homme, qui est en lien direct avec le fleuve Krimissos que nous avons déjà rencontré plus haut à propos de la métamorphose en chien. Le passage ici fait immédiatement suite à celui cité plus haut (vers 962—
ἡ δὲ δαίμονι τῷ θηρομίκτῳ σκύλακα γενναῖον τεκνοῖ, τρισσῶν συνοικιστῆρα καὶ κτίστην τόπων. «elle, pour ce génie |
Ce fils désigné par la métaphore du chien est Egeste, le fondateur de la ville de Ségeste en Sicile. Le refus de la métaphore pseudonyme pour le père fluvial s’opère donc à la génération suivante pour son fils: Lycophron joue ici habilement du sens secondaire fréquent du terme σκύλαξ qui peut désigner aussi un enfant, mais il est normal que le père métamorphosé en chien donne naissance à un chiot. Il est assez probable que la micro-biographie que donne l’apposition du vers 964 (συνοικιστῆρα καὶ κτίστην), avec l’insistance sur le groupe στη, serve à compléter l’anagrammatisation du nom d’Egeste dans ces vers; le nom féminin de la mère d’Egeste, apparaît à l’incipit du vers 968 pour donner de l’écho au nom qui n’est ici que suggéré21.
L’image du chien permet donc d’avoir une vision assez complète de la manière dont Lycophron se sert des animaux dans son poème pour soutenir l’ambiguïté et la richesse du discours poétique. Si certaines occurrences continuent de renvoyer au référent animal, le plus souvent, sans aucune distinction particulière, le zoonyme a une valeur métaphorique qui lui vaut d’être le substitut d’un nom propre, le plus souvent d’un anthroponyme: c’est alors le contexte, en grande partie elliptique, qui permet de justifier la métaphore pseudonyme. Cette pratique liant la désignation à un contexte s’oppose à la désignation rigide du nom propre détachée de tout contexte et exempte de toute variation temporelle. Au contraire, la métaphore animale n’est jamais arrêtée ni particularisée; elle est toujours susceptible d’être appliquée à tel ou tel individu. Le chien, fidèle ami de l’homme comme on sait, se caractérise aussi spécialement par son aptitude à changer de maître onomastique en toute occasion.
ÏÐÈÌÅ×ÀÍÈß
Τροιζηνίας δὲ τραῦμα φοιτάδος πλάνης ἔσται κακῶν τε πημάτων παραίτιον, ὅταν θρασεῖα θουρὰς οἰστρήσῃ κύων πρὸς λέκτρα. «La blessure de la Trézénienne sera d’une errance égarée |
A l’évidence il y a dans ce passage un travail sur l’assonance du groupe tr / qr avec constitution d’un inventaire phonologique important. La raison de ce travail poétique n’apparaît pas encore. Y a-t-il une évocation de la ville de Troie où Diomède avait osé frapper la déesse pendant une bataille (cf. Iliade, 5, 534—
ὅταν θανὼν λῃταρχος ἱερείας σκύλαξ πρῶτος κελαινῷ βωμὸν αἱμάζῃ βρότῳ. |
En effet l’identification du personnage n’est pas certaine; il pourrait s’agir du fils enfanté par Cassandre à la suite de son viol par Ajax. Assurément le terme σκύλαξ a bien ici la valeur d’une métaphore pseudonyme, mais le nom échappe.